« On suppose d’abord que le gouvernement sera tel qu’on le désire. On voit toujours en lui un allié, sans réfléchir qu’il peut devenir un ennemi »1
Benjamin Constant2 va bâtir sa conception du constitutionnalisme en critiquant avant tout deux auteurs fondamentaux d’expression française du XVIIIe siècle : Montesquieu et Rousseau. Partant, il réagit à l’interprétation de ces penseurs tant par les révolutionnaires français que par ses contemporains. Pour Constant, comme pour l’ensemble des auteurs hexagonaux jusqu’au milieu du XIXe siècle, il s’agit de clore la Révolution française et l’ère des révolutions.
Par-delà la vulgate, la théorie de Montesquieu peut être synthétisée comme suit. Pour que la liberté soit protégée, il faut que les fonctions de l’État soient séparées et qu’elles soient confiées à des organes distincts. Cela ne signifie pas que ces pouvoirs doivent être rigoureusement indépendants les uns des autres et fonctionner en vase clos. Au contraire, une constitution doit prévoir des mécanismes de freins et contrepoids afin d’éviter des chocs intenses et brutaux entre les hommes investis de ces fonctions. C’est alors et alors seulement que l’arbitraire sera jugulé.
L’œuvre constitutionnelle de Benjamin Constant peut être comprise notamment comme une correction des idées de Montesquieu, plus encore de son interprétation – et parfois de son application – schématique par nombre de révolutionnaires français. En effet, la « séparation des pouvoirs » – expression que Montesquieu n’avait pas utilisée – en vint à signifier que le Pouvoir pouvait être divisé et qu’il devait être distribué à divers organes de la manière la plus étanche qui soit. L’étude de la pensée de Constant s’avère ici capitale parce qu’elle développe de manière rare et inédite en France un authentique et profond constitutionnalisme3. Celui-ci ne se limite pas à une conception racornie de la « séparation des pouvoirs ». La valeur ajoutée par Constant ne tient pas seulement au pouvoir dans l’État, mais préalablement et avant tout au pouvoir de l’État. Certes, comme l’écrit Montesquieu, il ne faut pas attribuer l’intégralité du pouvoir à la même personne, sous peine d’arbitraire, ou pis, de despotisme. Mais cela ne suffit pas. Préalablement, Constant focalise son attention sur le Pouvoir lui-même : sa substance prime son partage. L’opération première est de définir strictement les limites de l’État avant de s’interroger sur le point de savoir comment ses attributions, ainsi encadrées, s’exerceront. Madison avait déjà exprimé mutatis mutandis cette idée : « dans tous les cas où le pouvoir doit être conféré, il faut d’abord décider si ce pouvoir est nécessaire au bien public, et ensuite, en cas de réponse affirmative, se mettre en garde, aussi efficacement que possible, contre une perversion du pouvoir (…) »4. Contrairement à ce que prétend Montesquieu, le pouvoir n’est pas apte à arrêter le pouvoir si, en premier lieu, celui-ci n’a pas été borné. Constant appartient à la tradition libérale des XVIIIe et XIXe siècles qui entend avant tout limiter le Pouvoir. Proudhon, à la pensée si complexe, marchera sur les brisées de Constant lorsqu’il écrira ce passage remarquable : « Tous les articles d’une constitution peuvent se ramener à un article unique, celui qui concerne le rôle et la compétence de ce grand fonctionnaire qui a nom l’État. Nos assemblées nationales se sont occupées à l’envi de la distinction et de la séparation des pouvoirs, c’est-à-dire des facultés d’action de l’État; quant à la compétence de l’État en elle-même, à son étendue, à son objet, on ne voit pas que personne s’en soit beaucoup inquiété. On a songé au partage, comme disait naïvement un ministre de 1848; quant à la chose à partager, il apparut généralement que plus il y en aurait, plus la fête serait belle. Et pourtant la délimitation du rôle de l’État est une question de vie ou de mort pour la liberté, collective et individuelle »5.
Ce n’est pas à dire que le constitutionnalisme de Benjamin Constant soit irréprochable. Dans un premier temps, ce dernier entend effectivement limiter l’État, mais au terme d’un raisonnement défectueux qui met en danger cette volonté même d’enserrement (I). Dans un second temps, il se préoccupe activement d’organiser l’État ainsi limité, mais ses conceptions constitutionnelles, parfois surannées ou, pis, lacunaires, ne laissent pas d’apparaître insuffisantes. Si bien que, par un jeu de feed back, les défectuosités du Pouvoir dans l’État rétroagissent sur le Pouvoir de l’État, lui-même défectueux (II).
I – LA LIMITATION DE L’ÉTAT
Benjamin Constant développe une pensée constitutionnelle remarquable à la fin du XVIIIe siècle et surtout au début du XIXe. L’étude de sa pensée permet de comprendre le sens profond du constitutionnalisme, entendu comme gouvernement limité (A). Malheureusement, son constitutionnalisme apparaît, en maints points, contestable, du fait de prémisses qui ne le sont pas moins (B).
A – LE CONSTITUTIONNALISME COMME GOUVERNEMENT LIMITÉ
Constant développe de manière particulièrement limpide la conception libérale de la constitution (1). Contrairement aux lieux communs, il ne s’en tient pas seulement à la liberté individuelle, liberté des Modernes, mais fait une place de choix à la liberté politique, liberté des Anciens, en tant justement que garantie de cette liberté (2).
1 – La notion libérale de constitution
Benjamin Constant entend la constitution comme un appareil à limiter le Pouvoir : celle-ci est envisagée comme une garantie contre l’arbitraire (a) et, selon l’expression suggestive d’un commentateur, comme un « squelette » (b).
a) La constitution comme garantie contre l’arbitraire
« Toutes les constitutions sont des actes de défiance : car si on croyait que le pouvoir ne fera jamais d’empiétement, nous n’aurions pas besoin de constitutions, ni de chambres, ni de lois répressives »6; « Une constitution est la garantie de la liberté d’un peuple (…) »7. Constant en tire pour conséquence que tout ce qui tient à la liberté est constitutionnel; autrement dit, il adopte une définition matérielle de la constitution8. Ces deux phrases, parmi beaucoup d’autres, permettent de comprendre que pour Constant, la constitution peut être définie comme une garantie contre l’arbitraire. Cette conception est très proche de celle du constitutionnalisme américain, tel que l’a exposé Hayek9. La constitution est envisagée comme un appareil à limiter le Pouvoir. Garantie et arbitraire, ces deux termes méritent une attention toute particulière.
La garantie est ce qui assure la protection, la sauvegarde ; c’est ce qui rend sûre une chose. En droit, c’est la protection qui est due à chaque personne. Daunou, qui a attaché son nom au terme, appelle garanties individuelles « l’engagement que l’autorité prend de s’abstenir des agressions, c’est-à-dire des violences, rapines, extorsions et outrages, et les institutions qui l’obligent d’y renoncer »10. Son Essai sur les garanties individuelles que réclame l’état actuel de la société a pour objet d’empêcher les pouvoirs qui protègent les individus contre les malfaiteurs de le devenir eux-mêmes. Pour sa part, parmi les droits des citoyens, Constant inclut « la garantie contre tout arbitraire »11.
Constant décrit l’arbitraire comme « l’absence des règles, des limites, des définitions, en un mot l’absence de tout ce qui est précis »12. Il insiste à moult reprises sur ses dangers : « l’arbitraire est donc le grand ennemi de toute liberté, le vice corrupteur de toute institution, le germe de mort qu’on ne peut ni modifier, ni mitiger, mais qu’il faut détruire »13. L’arbitraire, c’est avant tout l’absence de respect des formes, car la forme est la sœur jumelle de la Liberté : « Ce qui préserve de l’arbitraire, c’est l’observance des formes. Les formes sont les divinités tutélaires des associations humaines (…) »14. Constant insiste sur le respect des formes dès ses œuvres révolutionnaires. De la force du gouvernement actuel de la France et de la nécessité de s’y rallier, ouvrage paru en 1796, tient que « dans le corps politique il n’y a que les formes qui soient stables, et qui résistent aux hommes »15; Des réactions politiques, opuscule édité l’année suivante, martèle que « le gouvernement doit se garder d’un écueil dangereux : c’est le mépris des formes (…) »16. Au fil de ses œuvres ultérieures, Constant reprend tel un leitmotiv le thème du respect des formes : « il n’y a de sûreté publique que dans la justice, de justice que dans les lois, de lois que par les formes »17. Arbitraire, garanties et formes constituent le triptyque du constitutionnalisme constantien.
La notion d’arbitraire apparaissait tel un lieu commun dans la pensée des contemporains de Constant, particulièrement chez les idéologues. Daunou écrivait ainsi : « Un acte contre des personnes est arbitraire, toutes les fois qu’il est autre chose que l’exécution d’une loi antérieure à cet acte et aux faits et circonstances qui le concernent (…) »18. Les successeurs libéraux de Constant partageront sa conception du constitutionnalisme. Deux exemples suffiront à le démontrer. Guyot écrit que « toutes les constitutions modernes ont un caractère commun : soustraire les individus à l’arbitraire du pouvoir social, représenté soit par un homme, soit par des assemblées »19. Quant à Hayek, il définit l’arbitraire comme « une action déterminée par une volonté que n’arrête aucune règle générale »20 et il rappelle que les constituants américains concevaient la constitution comme une protection de l’individu « contre toute coercition arbitraire »21.
C’est ici que l’on perçoit les différences fondamentales qui séparent Constant de Montesquieu. Le premier chapitre des Principes de politique permet de le comprendre. Au regard de la souveraineté populaire, consacrée par Rousseau et acceptée par Constant, la « séparation des pouvoirs » est nécessaire, mais insuffisante22. Ainsi que l’écrit justement Marcel Gauchet, il ne suffit pas de poser les individus au départ, comme le font – différemment – Hobbes et Rousseau, encore faut-il s’assurer de les retrouver au point d’arrivée23. Certes, Montesquieu démontre qu’il ne faut pas attribuer tout le pouvoir au même individu24. Certes, il tient qu’aucun pouvoir dans l’État ne doit être despotique. Mais encore faut-il, au-delà de Montesquieu, ne pas attribuer tout le pouvoir, et ce afin que le pouvoir de l’État ne soit pas despotique25. Dans son analyse du constitutionnalisme américain, Hayek a montré que les rédacteurs de la Constitution de 1787 avaient pour objectif, après Montesquieu, de fournir les sauvegardes institutionnelles à la Liberté au moyen de la « séparation des pouvoirs ». Mais, poursuit-il, le constitutionnalisme entendu comme gouvernement contenu dans des limites a échoué parce que les autorités de l’État ont obtenu constitutionnellement un accroissement progressif de leurs pouvoirs26. Un préjugé moins défavorable aux auteurs français en général aurait permis au Viennois de comprendre que Constant avait, dès le début du XIXe siècle, tenté de dépasser cette concep tion trop étroite du constitutionnalisme.
b) La constitution comme « squelette »
Stephen Holmes écrit de manière suggestive que Constant concevait plutôt la constitution « comme un squelette »27. Il est plus sûr, ajoute-t-il, de compter sur les tactiques constitutionnelles que sur la force du sens moral des hommes28. Les réflexions de Stephen Holmes sont stimulantes, mais parcellaires, et elles invitent à une double réflexion sur la recherche du bonheur et la méfiance envers les gouvernants.
Stephen Holmes fait litière de l’accusation portée à l’encontre du libéralisme selon laquelle cette idéologie abandonnerait la quête antique de la vie conforme au Bien pour verser dans le matérialisme : les libéraux auraient « décentralisé cette quête ». Au-delà de l’utilisation maladroite du terme « décentralisation », l’idée apparaît essentiellement fondée. De close, la société est devenue ouverte, la petite société devenue grande, parce que, en termes hayekiens, les hommes n’étaient plus mus par un objectif commun imposé à tous, mais par des règles de conduite qui leur permettaient librement de poursuivre leur propres fins.
Selon Constant, « les droits les plus chers du citoyen doivent trouver leur garantie dans les lois, et non les chercher au hasard, dans la probité des hommes dont les vertus mêmes ne sont que des accidents heureux »29. Constant confirme ici sa rupture avec le rousseauisme de la plupart des révolutionnaires français et marque un rapprochement avec le constitutionnalisme de maints révolutionnaires américains. Il est frappant d’observer la distance qui sépare la pensée constitutionnelle constantienne des principaux constituants de 1958. Debré témoignait d’une radicale mécompréhension des principes fondamentaux du constitutionnalisme lorsqu’il s’exclamait, à la fin de son allocution devant le Conseil d’État : « Une Constitution ne peut rien faire d’autre que d’apporter des chances aux hommes politiques de bonne foi qui, pour la nation et la liberté, veulent un État (…) »30.
Le fait que la constitution soit un « squelette » induit la « sobriété » du texte. Puisque « le gouvernement est stationnaire » et que « l’espèce humaine est progressive », la constitution doit être « courte » et « pour ainsi dire négative » en posant, ni plus ni moins, des barrières31. La brièveté du texte présente aussi l’immense avantage de lui donner de la souplesse en substituant les vertus de l’interprétation à la lourdeur des révisions et, plus encore, du changement total de constitution32.
2 – La liberté politique comme garantie de la liberté individuelle
Avoir à l’esprit les principes essentiels du constitutionnalisme érigés par Benjamin Constant est nécessaire pour analyser la distinction révolutionnaire entre la déclaration des droits et la garantie des droits (a). Loin d’opérer une césure irrémédiable entre liberté des Anciens et liberté des Modernes, le Français donne toute sa place à la liberté politique, une place limitée certes, mais indispensable (b).
a) La déclaration des droits et la garantie des droits
Lorsque Constant écrit qu’une constitution est la garantie de la liberté, il sait que, depuis la seconde moitié du XVIIIe siècle, on distingue déjà déclaration des droits et garantie des droits. Celle-là est un ensemble d’axiomes, une déclaration de principes, qui constitue un texte indépendant ou placé en préambule d’une constitution. Celle-ci s’analyse comme la protection des droits individuels contre le législateur luimême33. La garantie des droits est définie de manière moderne comme l’« ensemble des dispositions et procédés, quelquefois contenus dans une rubrique spéciale de la constitution écrite, qui tendent à empêcher par des interdictions ou d’une manière générale par un système quelconque de limitation du pouvoir la violation des droits de l’homme par les gouvernants »34. D’aucuns pensent que la distinction entre déclaration des droits et garantie des droits serait dépassée dans la mesure où le contrôle de constitutionnalité des lois permettrait de protéger les droits de l’homme. Nonobstant, cette distinction reste d’actualité car une constitution ne garantit pas forcément ceux-ci.
L’Acte additionnel aux constitutions de l’Empire du 22 avril 1815 dispose dans son préambule que Napoléon a résolu de proposer au peuple une suite de dispositions tendant « à entourer les droits des citoyens de toutes leurs garanties », mais il ne contient pas de déclaration des droits. En revanche, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789, après avoir mentionné la garantie des droits de l’homme et du citoyen dans son article 12, dispose dans son article 16 que « toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de constitution ». En apparence, la garantie des droits se distinguait ainsi de la « séparation des pouvoirs ». L’analyse des débats fait cependant ressortir que, pour beaucoup de révolutionnaires, les deux expressions étaient indissolublement liées, et qu’elles ne constituaient en réalité qu’une seule et même chose. Les constitutions de 1791, de l’an I et de l’an III, de même que le projet de constitution girondine, comportaient bien une déclaration des droits en préambule d’une constitution qui devait constituer la garantie des droits naturels de l’homme. Ainsi que le constate Stéphane Rials, pour les principaux rédacteurs de la Déclaration de 1789, la garantie des droits devait résulter en quelque sorte mécaniquement d’un bon agencement constitutionnel, si bien que la seule véritable garantie des droits résidait dans la bonne loi, cette expression étant pléonastique puisque la loi était inéluctablement bonne35. Malheureusement, les faits donnèrent tort aux révolutionnaires français. Guyot constatait qu’« en France, si nous avons proclamé des droits, nous n’avons pas donné de sanction à leur transgression »36.
C’est ici que le constitutionnalisme américain se sépare radicalement de son homologue français. La Déclaration de l’Indépendance du 4 juillet 1776 martèle que « les gouvernements sont établis par les hommes pour garantir » les droits inaliénables des hommes. Hamilton va bien refuser l’adjonction d’une déclaration des droits à la Constitution, au motif que celle-ci était elle-même une déclaration des droits37. Il ne sera heureusement pas suivi et dès 1791 dix amendements à la Constitution seront ratifiés, dont les huit premiers constituèrent stricto sensu une charte des libertés.
Par son insistance sur la nécessité d’une garantie des droits, par sa conception de la constitution comme une garantie contre l’arbitraire, Constant est bien plus proche des révolutionnaires américains que des révolutionnaires français. On peut également trouver dans son constitutionnalisme l’anticipation de la « constitution sociale » chère à Maurice Hauriou. Il convient de rappeler que le juriste français distingue constitution sociale et constitution politique. La « constitution sociale », selon une expression au demeurant peu heureuse, constitue l’ensemble des libertés individuelles que doit garantir la « constitution politique »38. Pour l’un comme pour l’autre de ces auteurs, la constitution représente le prolongement des libertés individuelles et elle n’a d’autre fonction que d’assurer leur garantie.
b) L’indispensable liberté politique
Un mythe a longtemps prospéré à la lecture – à moins que ce ne fût du fait de l’absence de lecture… – du célèbre discours prononcé par Constant à l’Athénée Royal de Paris en 1819 et intitulé « De la liberté des Anciens comparée à celle des Modernes ». Durant de longues années, cette allocution a été comprise comme un éloge de celle-ci et un rejet de celle-là, surannée et dangereuse, dangereuse car surannée. Il suffit pourtant de prendre la peine de consulter le texte pour comprendre la grave méprise qui était commise. La liberté moderne n’est autre que la liberté individuelle; il s’agit des garanties accordées par les institutions aux jouissances privées39. La liberté individuelle ne supprime pas pour autant la liberté politique. Celle-ci doit être envisagée comme la garantie de la liberté individuelle, pour le dire autrement comme la garantie de la garantie40. Loin donc que la liberté politique soit remplacée par la liberté individuelle, il s’agit de « combiner » les deux espèces de liberté41.
Il est vrai que la liberté politique a changé de sens entre, d’une part, l’Antiquité et son interprétation par les révolutionnaires français et, d’autre part, la période post-révolutionnaire. Pour être limité, son rôle n’en est pas moins essentiel : la liberté politique reste indispensable en tant que garantie de la préservation des libertés individuelles42. Contrairement à la liberté des Anciens, la liberté politique des Modernes consiste en une fonction de limitation de la sphère de l’État. Constant insiste sur le fait que les fonctions du gouvernement sont purement négatives43. Elles consistent à donner un cadre dans lequel s’inscrivent les individus, libres d’exercer des fonctions qui peuvent être qualifiées de positives. En bref, quant au débat brûlant sur les limites de l’État, Constant appartient au cénacle des auteurs libéraux qui ont défendu l’existence d’un gouvernement limité – ce qui est strictement l’objet du constitutionnalisme.
L’insistance de Constant sur la nécessité et l’importance de la liberté politique a été à l’origine d’un renouveau des études constantiennes en France. Longtemps délaissée, sa pensée est revenue au goût du jour et elle a pu être utilisée à partir des années 1970 comme un instrument de lutte contre le totalitarisme communiste par quelques anciens compagnons de route du parti. L’utilisation qui a été faite de sa pensée a cependant obombré le fait que Constant n’a jamais dissocié la liberté politique des autres aspects de la liberté et qu’il ait toujours défendu la « liberté en tout »44.
Constant trouve une voie moyenne entre l’excès de gouvernement et l’absence de gouvernement. Ainsi que le relève judicieusement Stephen Holmes, il s’agit moins de la liberté d’échapper à la société que du fait d’être libre dans la société45. La liberté politique permet de séparer drastiquement la société civile de l’État. C’est donc bien que la sphère de l’État, pour être limitée, n’en est pas moins légitime. Constant se distingue ainsi tout particulièrement de deux courants contemporains : les idéologues et les anarchistes. D’abord, Constant refuse tout despotisme, un despotisme qui aurait pour justification la garantie de la sphère privée. Le Français entend concilier, du fait même de leur séparation, les sphères privée et publique. Ensuite, le gouvernement n’est pas « un mal nécessaire »46. Constant ne s’inscrit pas dans la lignée de la branche anarchiste des libéraux, encore moins dans la lignée anarchiste. Il combat sur ce point la pensée de Godwin, tirée de Paine : le gouvernement n’est pas un mal nécessaire; il est soit un bien, soit un mal, autrement dit dans sa sphère il est un bien, hors de sa sphère il est un mal. Quant aux pouvoirs de l’État, ils doivent être inexistants hors de sa sphère et ils ne sont jamais trop puissants dans sa sphère47. Laboulaye développera une conception similaire des limites de l’État : celui-ci est un saint dans son domaine, une tyrannie en dehors. Dans ses justes limites, l’État doit posséder un pouvoir fort en tant que « garantie de l’indépendance et de la liberté »48. La disjonction liberté individuelle/liberté politique est opérée pour être mieux réconciliée.
Constant met en garde contre deux maux : l’excès d’esprit civique, caricatural dans la pensée de certains révolutionnaires français, et l’absence d’esprit civique, notable trop souvent dans la doctrine de ses contemporains qui ont entendu « réagir » aux excès de ces derniers49. La réconciliation de la liberté des Anciens et de celle des Modernes n’emporte toutefois pas la conviction parce que ses fondements sont branlants.
B – DES PRÉMISSES CONTESTABLES
L’apport et l’originalité de Constant apparaissent indéniables. Son constitutionnalisme n’en recèle pas moins des faiblesses qui trouvent leur source dans ses prémisses. D’une part, le Français analyse la souveraineté de manière coupable (1). D’autre part, il défend de manière parcellaire les droits de l’homme en faisant preuve d’inconséquence (2).
1 – Une conception coupable de la souveraineté
Très marqué par Rousseau, Constant reprend à son compte la théorie de la souveraineté du peuple tout en l’aménageant (a). La souveraineté demeure populaire, mais pour que la Liberté soit protégée, la souveraineté absolue doit se transsubstantier en souveraineté limitée au terme d’un raisonnement qui n’emporte guère la conviction (b).
a) La souveraineté populaire comme danger
Constant analyse la question fondamentale de la souveraineté dans le premier chapitre de ses Principes50. Il reprend la pensée d’un auteur qui, comme la plupart de ses contemporains, l’a beaucoup inspiré : Rousseau. En substance, il accepte partiellement la conception rousseauiste de la souveraineté. Celle-ci est et doit être celle du peuple, mais elle doit être limitée sous peine de verser dans l’arbitraire.
Le principe de tout gouvernement représentatif est que la souveraineté ne peut être que populaire. Constant définit celle-ci comme « la suprématie de la volonté générale sur toute volonté particulière »51. Il ne rejette pas cette prémisse incontestable, mais s’il l’accepte, c’est aussitôt pour l’encadrer de manière draconienne. Il démontre en détail les effets pervers de la consécration absolue de la souveraineté populaire. Ce qui importe, ce n’est pas tant le titulaire de la souveraineté – chronologiquement le roi, puis le peuple – que la puissance dont elle dote son détenteur. Or, si elle a justement débarrassé l’individu du poids de la souveraineté absolue du monarque, l’ère des révolutions l’a soumise à un joug tout aussi puissant : celui du peuple. Pour que la liberté des Modernes ne soit pas un vain mot, encore faut-il que les jouissances privées soient effectivement garanties.
Constant anticipe de façon remarquable la critique tocquevillienne de la tyrannie d’un genre nouveau qu’est la tyrannie démocratique. Il entrevoit aussi les méfaits de ce qui sera dénommé souveraineté parlementaire. La souveraineté illimitée ligote en réalité le prétendu souverain parce que ceux qui prétendent parler au nom du peuple disposent d’un pouvoir illimité. La souveraineté populaire tend ainsi à passer du peuple à ses représentants, sans aucune garantie pour la Liberté52. Un peuple souverain, Marcel Gauchet le souligne avec bonheur, est un peuple en péril d’aliénation de sa souveraineté53.
La solution supposée au problème de l’union politique – le « souverain » – devient lui-même le problème. Comment – c’est le hic et nunc du constitutionnalisme – empêcher la mauvaise conduite du « souverain » tout en lui donnant le nécessaire pouvoir de maintenir la paix et l’ordre public ? Constant croit trouver la quadrature du cercle en prônant une souveraineté limitée.
b) La souveraineté limitée comme oxymoron
Majeure : la souveraineté est nécessairement populaire. Mineure : elle ne saurait être absolue si l’on veut que les libertés soient garanties. Conclusion : la souveraineté du peuple doit être limitée. Tel est le syllogisme utilisé par Constant pour que l’indispensable souveraineté ne vienne pas à l’encontre de la liberté des Modernes. S’il partage une partie des prémisses de Rousseau, il en rejette les conséquences, tout en vitupérant la conception hobbesienne de la souveraineté. Puisque la souveraineté est nécessairement limitée sur terre, le peuple, pas plus que ses représentants, ne saurait exercer une autorité illimitée54. Ce qui marque un point d’arrêt à la souveraineté populaire, c’est le nécessaire respect des libertés individuelles. Selon la célèbre expression de Constant, il y a « une partie de l’existence humaine qui, de nécessité, reste individuelle et indépendante, et qui est de droit hors de toute compétence sociale »55. Toute la difficulté est alors de savoir quelle est cette partie… Constant reste prisonnier d’une conception « française » de la souveraineté. Quoiqu’il fût le paradigme de l’opportuniste, il n’y a pas lieu de suspecter ici quelque dissimulation. Sur ce point comme sur tant d’autres, Constant ne semble guère touché par le constitutionnalisme américain. Le maillon manquant de sa théorie constitutionnelle est sans doute la notion de souveraineté individuelle, utilisée si couramment outre-Atlantique. Il est aussi frappant d’observer que le Français, connaisseur avisé du monde britannique, n’a pas utilisé la notion, fût-elle controversée, de souveraineté ou de suprématie du droit.
2 – Une conception parcellaire des droits de l’homme
Si la souveraineté est limitée, c’est que « les citoyens possèdent des droits individuels indépendants de toute autorité sociale ou politique »56. Il est notable que Constant use de l’expression « droits des citoyens » : les droits des individus sont garantis par la liberté politique. Quels sont ces droits ? Le Français en trouve cinq différents : « la liberté personnelle, la liberté religieuse, la liberté d’opinion, la garantie contre l’arbitraire et la jouissance de la propriété »57. S’il anticipe lucidement les atteintes au droit de propriété et les conséquences de ses violations (a), il conçoit la propriété elle-même comme une convention sociale, et non pas comme un droit de l’homme (b).
a) Les conséquences anticipées des atteintes au droit de propriété
Le quinzième chapitre des Principes de politique défend « l’inviolabilité des propriétés », et il constitue entre autres une critique du communisme et du socialisme. Constant brocarde les philosophies qui portent atteinte à la propriété et il s’emploie à décrire les effets pervers de son abolition. En l’absence de propriété, l’homme verserait dans le primitivisme; la division du travail – si chère à Constant dans l’orbe du politique comme de l’économique – serait détruite, l’égalitarisme se substituerait à l’établissement graduel de l’égalité – selon une philosophie de l’histoire qu’il partage avec les Lumières et qui prendra tout son relief dans l’œuvre de Tocqueville58. Une nouvelle fois, le Français insiste sur la notion d’arbitraire liée aux atteintes à la propriété. Il démontre le caractère insécable de la propriété entendue, quoiqu’il n’y fasse pas expressément référence, au sens lockien : la propriété des biens est inséparable de la propriété de son corps, donc de sa vie et de sa liberté. Il consacrera même un chapitre de son Cours de politique constitutionnelle à l’apologie de la « liberté de l’industrie »59, conçue comme la matrice des autres manifestations de la propriété : « La plus sacrée et la plus inviolable de toutes les propriétés de l’homme est celle de sa propre industrie, parce qu’elle est la source originaire de toutes les autres propriétés »60. Le libéralisme de Constant apparaît ici remarquable : « L’arbitraire sur la propriété est bientôt suivi de l’arbitraire sur les personnes : premièrement, parce que l’arbitraire est contagieux; en second lieu, parce que la violation de la propriété provoque nécessairement la résistance. L’autorité sévit alors contre l’opprimé qui résiste; et, parce qu’elle a voulu lui ravir son bien, elle est conduite à porter atteinte à sa liberté »61. Il en conclut en une phrase ciselée : « Le mépris pour la fortune des hommes suit de près le mépris pour leur sûreté et pour leur vie »62.
b) La propriété comme convention sociale
Parmi les cinq droits individuels des citoyens sériés par Constant, se trouve « la jouissance de la propriété »63. La liberté des Modernes est, entre autres, le droit « de disposer de sa propriété, d’en abuser même »64. Bien qu’il se réfère parfois au droit de propriété65, il parle le plus souvent de propriété tout court. La différence n’est pas anodine : en réalité, il n’existe pas de véritable droit de propriété dans la pensée de Constant. Il ne s’agit que d’une « convention sociale »66 ou encore d’une « convention légale »67.
Constant a entendu protéger la jouissance de la propriété et il en tire fermement toutes les conséquences. La propriété est « chose sacrée »68; « la disposition, la division, la subdivision, la circulation et la dissémination de la propriété, ne rencontreront aucune restriction, aucune entrave, parce que la liberté illimitée de conserver, d’aliéner, de morceler, de dénaturer la propriété, est, dans notre état social, le droit inhérent, le besoin essentiel de tous ceux qui possèdent »69.
La défense vigoureuse de la propriété opérée par Constant n’en apparaît pas moins particulièrement faible. Certes, la jouissance de la propriété est garantie70, mais le droit lui-même n’est pas protégé si bien qu’un changement des conditions sociales, une modification des « nécessités » de l’époque, un nouvel « état social » sont susceptibles de modifier la « convention sociale » ou « légale » qu’est prétendument la propriété. Comme le vieux Proudhon plus tard, Constant ne défend pas la propriété, mais la possession. Sa pensée paraît peu cohérente. Pourquoi la propriété serait-elle une « convention sociale » plutôt qu’un « droit individuel » comme peut l’être la liberté d’opinion ou la garantie contre l’arbitraire ? Il s’agit peut-être de la plus grande faiblesse dans la doctrine libérale de Constant. Ce fait explique que si d’aucuns ont parlé de « libéralisme pur » pour qualifier sa doctrine71, cette expression, si tant est qu’elle puisse être utilisée, devrait plutôt s’appliquer à l’un de ses contemporains, Frédéric Bastiat72. Une telle appréciation relative à la limitation de l’État dans le constitutionnalisme constantien est confortée par la lecture de ses écrits relatifs à l’organisation de ce dernier.
II – L’ORGANISATION DE L’ÉTAT
Durant des décennies, Constant se trouve confronté aux affres de la Révolution et à la question sensible de son terme. Il réfléchit en conséquence aux meilleures institutions possibles pour la France et, tout particulièrement, il remet sur le métier son ouvrage Principes de politique, au gré des circonstances politiques auxquelles il était si sensible. Après la limitation de l’État, il s’est attelé à son organisation méticuleuse (A). Précieuse, remarquable en maints points, l’architectonique constitutionnelle du Français témoigne pourtant de certaines faiblesses dont beaucoup sont directement issues de ses échecs dans la construction d’un État limité (B).
A – LA MÉCANIQUE CONSTITUTIONNELLE
Ce n’est pas un hasard si l’opus magnum de Constant s’intitule Principes de politique applicables à tous les gouvernements représentatifs. Le Français pointe une double nécessité : d’abord celle d’un gouvernement représentatif (1), ensuite, au sein de ce gouvernement, celle d’un « pouvoir neutre » (2).
1 – La nécessité d’un gouvernement représentatif et de débats
La notion de gouvernement représentatif est, pour Constant, indissolublement liée à la liberté des Modernes73. Il le définit comme « une organisation à l’aide de laquelle une nation se décharge sur quelques individus de ce qu’elle ne peut ou ne veut pas faire elle-même »74.
Le gouvernement représentatif (a) se caractérise aussi comme un gouvernement par la discussion (b).
a) Le gouvernement par la représentation
Constant est l’un des auteurs qui ont décortiqué avec le plus de finesse le mécanisme représentatif. Celui-ci est directement relié à la liberté des Modernes. Pour que les individus puissent jouir de leur liberté, il faut que l’esprit civique se manifeste, mais sans excès. La conférence que Constant donne sur « la liberté des Anciens comparée à celle des Modernes » permet de comprendre l’influence décisive que ses contemporains Sieyès et Say ont eu, d’une manière différente, sur lui. En effet, Constant applique par analogie la division du travail à l’orbe du politique. Dans l’Antiquité, les citoyens, débarrassés des affres de la vie quotidienne par l’institution de l’esclavage, disposaient d’un temps libre qu’ils occupaient par des activités politiques. A l’époque moderne, le temps que chaque citoyen peut consacrer à la politique est au contraire limité puisque la liberté ne consiste plus à participer à un pouvoir politique tentaculaire, mais à jouir de ses droits individuels. Le gouvernement représentatif succède donc à la démocratie directe. Les individus s’en remettent à leurs représentants, d’une part parce qu’ils n’ont matériellement pas le temps de s’occuper au quotidien des affaires publiques, d’autre part parce qu’ils préfèrent s’en remettre, dans la sphère limitée de l’État, aux « capacités » de certains d’entre eux. Stephen Holmes souligne à juste titre que la représentation permet simultanément d’inclure les citoyens dans la vie politique et de les libérer de la vie politique75.
b) Le gouvernement par la discussion
Le parlement est le lieu de confrontation des intérêts particuliers dont la somme, selon le principe de l’individualisme méthodologique, constitue l’« intérêt général »76. Le gouvernement représentatif suppose donc la liberté d’opinion. Or, parmi les droits individuels dont disposent les citoyens se trouve justement cette dernière. Les représentants étant des citoyens au même titre que les représentés, il est normal qu’ils disposent, au sein des assemblées, de cette même liberté. Les chambres peuvent être ainsi envisagées comme un libre marché d’idées où se confrontent les points de vue inévitablement divers des représentants avant le vote des lois77.
Il n’est guère surprenant que Constant, par-delà les circonstances politiques et surtout les atteintes répétées à la liberté de la presse sous la Restauration, ait attaché une aussi grande importance à cette dernière. La presse se situe au centre d’un jeu d’interactions entre les représentés et les représentants78. Dans les Fragments, Constant n’hésite pas à la qualifier de « garantie nécessaire de toutes les autres »79. Son Cours de politique constitutionnelle martèle que « toutes les barrières civiles, politiques, judiciaires, deviennent illusoires sans la liberté de la presse »80. Constant met en relief la nécessité de la publicité : « L’unique garantie des citoyens contre l’arbitraire, c’est la publicité, et la publicité la plus facile et la plus régulière est celle que procurent les journaux »81.
Ici encore, Constant s’inscrit dans la grande tradition libérale de l’éclosion de la vérité, ou tout du moins du combat contre l’erreur, par le truchement de la discussion. Carl Schmitt ne manquera pas de mêler sa voix à la critique d’extrême droite du parlementarisme; considéré comme le gouvernement de l’impuissance par la parole stérile, le parlementarisme devait s’effacer devant le gouvernement efficace par la décision82.
2 – La nécessité d’un « pouvoir neutre »
C’est dans le chapitre 2 de ses Principes de politique et surtout dans le livre VIII des Fragments d’un ouvrage abandonné sur la possibilité d’une constitution républicaine dans un grand pays que Constant construit sa thèse originale d’un pouvoir qu’il dénomme neutre, intermédiaire ou encore préservateur. Constant s’inspire de paradigmes tant français qu’étrangers (a) pour ériger une institution qui joue un rôle nodal dans son constitutionnalisme (b).
a) Les sources du « pouvoir neutre »
Constant se réfère avant tout à deux paradigmes, l’un britannique, l’autre français. En premier lieu, il renvoie à la constitution anglaise, et plus précisément à son monarque83. Il explique que la monarchie anglaise a créé un « pouvoir neutre et intermédiaire », i. e. le pouvoir royal séparé du « pouvoir exécutif »84. Voltaire – que Constant ne cite point – avait caractérisé le monarque anglais comme un « sur-arbitre »85. Il avait déjà souligné la supériorité des institutions britanniques sur les institutions romaines. En effet, celles-ci étaient dénuées de « balance », et minées par des conflits destructeurs entre Patriciens et Plébéiens du fait de l’absence d’un « pouvoir mitoyen »86. En second lieu, Constant prend pour modèle le Sénat conservateur de la Constitution de l’anVIII, dont le brouillon fut écrit par Sieyès87. Cet organe avait pour fonction – du moins en théorie – d’élire entre autres les consuls et les législateurs; de maintenir ou d’annuler les actes qui lui étaient déférés comme inconstitutionnels par le Tribunat ou le gouvernement. En revanche, Constant refuse de réunir le « pouvoir neutre » à la fonction judiciaire dans la mesure où « il est impossible de passer d’une autorité discrétionnaire à l’exercice d’une autorité astreinte à des formes »88.
b) Les fonctions du « pouvoir neutre »
Constant martèle qu’un « pouvoir neutre » est indispensable pour que règne la liberté89.
Ce pouvoir préserve; de là, l’autre qualificatif que Constant lui donne : le « pouvoir préservateur »90. Ce pouvoir est aussi un pouvoir « neutre » : il a pour objet essentiel de garantir le bon fonctionnement des institutions. Constant souhaite éviter le face à face inévitablement destructeur des fonctions législative et exécutive. De deux choses l’une en effet : soit les deux fonctions se déchirent sans fin, soit elles marchent à l’unisson, mais dans les deux cas au détriment de la Liberté91. Constant exprime clairement l’objet du « pouvoir neutre » : « défendre le gouvernement de la division des gouvernants, et défendre les gouvernés de l’oppression du gouvernement »92. Dans l’une de ses dernières phrases, les Fragments insistent sur le caractère indispensable du pouvoir intermédiaire « pour que le pouvoir exécutif soit indépendant, et pour que les élections soient libres »93. Le paragraphe sur l’indépendance de l’exécutif ne peut que retenir l’attention. Constant n’hésite pas à faire usage d’une expression smithienne et cet usage osé n’est certainement pas innocent : « Pour que le pouvoir exécutif soit indépendant, il faut que son indépendance ne puisse pas perdre la liberté, et que, lorsqu’il la menace, une main invisible s’avance, et la sauve sans déchirement ». Le pouvoir préservateur, par la menace d’une destitution de l’exécutif en tout ou en partie, s’apparente dans l’orbe du politique à la sanction du marché dans la sphère catallactique. S’il estime que la fonction judiciaire ne peut être ce pouvoir préservateur, il n’en use pas moins d’une métaphore frappante : « Lorsque les pouvoirs publics se divisent, ils sont prêts à se nuire, il faut une autorité neutre qui fasse à leur égard ce que le pouvoir judiciaire fait à l’égard des individus. Le pouvoir préservateur est, pour ainsi dire, le pouvoir judiciaire des autres pouvoirs »94.
Deux questions subsistent : qui pratiquement sera ce pouvoir intermédiaire ? Quelles seront les garanties contre ses abus ?
Sur le premier point, Constant fait étalage de sa légendaire souplesse politique. Les Fragments constituant une critique au vitriol de la monarchie, du moins dans ses premiers chapitres très républicains95, il serait surprenant que le pouvoir royal, fût-il l’une des sources du pouvoir neutre, se confonde avec lui : « [La monarchie] a ce vice, qu’elle cumule le pouvoir exécutif et le pouvoir neutre dans les mêmes mains »96. Aussi le citoyen Constant décrit avec minutie le mode d’élection des membres du pouvoir préservateur97 : un mode complexe et censitaire qui établit un corps nombreux et « conservateur » du fait des conditions d’âge, d’expérience et de richesse requises98. En revanche, dans les Principes de politique de 1815, Constant s’accommode d’un monarque qui cumule pouvoir royal et pouvoir neutre… En effet, rallié à la monarchie – plus précisément à l’une de ses formes en tant qu’elle s’oppose à la monarchie absolue – il martèle dès les premières lignes de son Cours de politique constitutionnelle que « la monarchie constitutionnelle a ce grand avantage, qu’elle crée ce pouvoir neutre dans la personne d’un roi »99. En effet, outre-Manche, le monarque règne, mais il ne gouverne plus ou presque plus. Ériger le pouvoir royal en « pouvoir neutre », c’est faire coup double. D’abord, c’est neutraliser son bon pouvoir100; ensuite, c’est aménager l’exécutif de manière optimale en protégeant sa puissance et en encadrant sa responsabilité101. Constant use d’une métaphore troublante pour le commentateur des travaux constituants de la Ve République : « le pouvoir royal est dans la monarchie constitutionnelle un pouvoir au-dessus de la région véritablement active, un pouvoir destiné à faire que l’édifice demeure solide et inébranlable, en mettant à l’abri de toute secousse la clef de la voûte »102. Le pouvoir ministériel est le pouvoir actif, « sans lequel le pouvoir royal ne peut rien faire »; celui-ci est non pas un pouvoir passif, mais le pouvoir neutre, « destiné à mettre fin à toute lutte dangereuse »103. Sur le second point, les Fragments rappellent que tout pouvoir est porté à abuser de son pouvoir. C’est la raison pourquoi des garanties sont indispensables. Tel est d’ailleurs l’objet essentiel de cet ouvrage. Après les garanties contre les abus du législatif et de l’exécutif, Constant s’attaque aux abus du pouvoir préservateur104. Or, ceux-ci sont d’autant plus « terribles » qu’aucune garantie constitutionnelle ne peut être imaginée du fait même qu’ « on ne peut donner une garantie à la garantie elle-même »105. Cette affirmation est de nature à consterner le lecteur, mais l’auteur s’emploie incontinent à le rassurer. Si elles sont d’une nature spéciale en ce qu’elles ne sauraient appartenir à un autre organe, les garanties contre les abus de ce pouvoir existent pourtant106. Elles sont doubles. D’une part, elles tiennent à ses propres attributions : le pouvoir intermédiaire « ne peut rien commander aux individus ». D’autre part, elles tiennent à ses membres, à l’état d’esprit qui les anime et qui les porte, pour subsister au sein d’un organe pérenne, à « préserver ». Les conditions d’élection de ce corps conservateur retentissent ainsi sur la psychologie des individus qui le composent.
Si la mécanique constitutionnelle mise en place par Constant apparaît bien huilée, elle n’en recèle pas moins de multiples faiblesses.
B – UNE ARCHITECTONIQUE CONSTITUTIONNELLE CONTESTABLE
Benjamin Constant a certes attaché son nom à la théorie du gouvernement représentatif. Sa conception apparaît pourtant surannée (1). Il en est de même de sa théorie de la constitution : la garantie des droits à laquelle il est tant attaché ne semble guère pouvoir être effective (2).
1 – Une conception surannée du gouvernement représentatif
Certes, sous la Restauration, le parlementarisme n’en est qu’à ses balbutiements. Certes, dans son berceau d’outre-Manche, il n’est pas encore totalement établi. La conception constantienne du parlementarisme n’en laisse pas moins d’apparaître brumeuse (a). Par ailleurs, Constant conçoit le droit de suffrage de manière peu solide (b).
a) Un parlementarisme brumeux
Le procès de la conception constantienne du parlementarisme a depuis longtemps été fait. Le Français a bien conscience de la fragilité du parlementarisme dualiste. Mais force est de constater qu’il ne dégage pas la responsabilité gouvernementale de sa gangue. Il ne fait pas le départ entre responsabilité politique et responsabilité pénale; il ne libère pas celle-là de l’emprise pesante de celle-ci107.
A la décharge de Constant, d’aucuns ont fait le lien entre son parlementarisme et sa théorie du « pouvoir neutre ». S’il était conscient du mécanisme de responsabilité gouvernementale tel qu’il existait ou commençait à exister outre-Manche, il croyait sa transposition présentement impossible en France108. Il distingue responsabilité et destitution : la défiance d’une chambre ne saurait automatiquement provoquer la destitution du gouvernement sous peine de porter atteinte à l’autorité royale, donc à l’autorité de l’État109. En effet, l’indispensable « pouvoir neutre » qu’est le monarque doit pouvoir en toutes circonstances remplir sa fonction d’arbitre. En conséquence, il est logique que le droit de dissolution soit attribué au chef de l’État : celle-ci se présente comme le remède à la tyrannie des assemblées qui ont tendance à multiplier le nombre des lois à l’infini110. Or, « la multiplicité des lois est la maladie des États représentatifs »111. Une nouvelle fois, le constitutionnalisme constantien appartient à la tradition libérale qui se défie du légicentrisme et craint l’inflation législative. On a pu dire que Constant avait anticipé la crainte de la « souveraineté parlementaire » qui, bien après la Révolution, allait régner sous les républiques, et qu’il avait tenté avant l’heure de rationaliser le parlementarisme par l’érection d’un « pouvoir préservateur »112. Certes, il craint les abus de l’exécutif, auxquels il consacre un livre complet des Fragments113. Certes, il redoute plus encore la réunion des deux pouvoirs sous la férule de l’exécutif114. Mais, il n’a pas de mots assez durs pour stigmatiser les abus naturels au législatif : « Une assemblée est de toutes les puissances la plus aveugle dans ses mouvements, la plus incalculable, dans ses résultats, pour les membres mêmes qui la composent, celle, par conséquent, qu’il est le plus indispensable de renfermer dans des limites précises et d’y contenir. Lorsqu’elle franchit ses limites, elle réunit des inconvénients et des vices qui semblent s’exclure mutuellement »115. De ce rude constat, s’échappe une conclusion tout aussi naturelle : « s’il est essentiel pour la liberté qu’il y ait des assemblées représentatives, il n’est pas moins essentiel et pour la sûreté publique et privée, et pour la liberté même, que l’autorité de ces assemblées soit circonscrite »116. Ce constat amène également l’auteur à témoigner d’une grande suspicion envers le suffrage universel.
b) Un suffrage restreint peu solide
« La propriété seule rend les hommes capables de l’exercice des droits politiques », tranche Constant117. Ce dernier a défendu dans ses plus grands ouvrages un droit de suffrage restreint, tout en plaidant le plus souvent en faveur d’un assouplissement de ses conditions118. Au sein des Fragments, qu’il s’agisse du mode de nomination de l’exécutif119 ou de celui – complexe – du législatif120, le suffrage censitaire s’impose. Mais un système représentatif suppose l’élection populaire121 et, si le droit de suffrage n’est accordé qu’aux propriétaires, les électeurs seront suffisamment nombreux. En effet, toujours selon les Fragments, en feront partie les « petits propriétaires »122. Plus encore, Constant reconnaît son erreur dans le Cours de politique constitutionnelle : avoir indûment restreint le droit de suffrage à la propriété foncière et avoir coupablement omis la « propriété industrielle », plus réelle et plus puissante123. Rien là que de très logique dans l’extension du suffrage. Constant désire l’ouverture de la liste des électeurs à la « classe industrieuse », nourrie de l’esprit d’indépendance et d’égalité. Cette dernière se tient entre les « classes riches » et les « classes pauvres » : elle se distingue des premières par son impartialité et des secondes par ses lumières. Cet éloge des « classes moyennes » est enté sur un argument smithien, qui se lit une fois encore entre les lignes : « en soignant ses intérêts propres, elle [la classe industrieuse] ferale bien de tous »124.
Accepter la « souveraineté populaire » tout en restreignant le droit de suffrage laisse le commentateur dubitatif. Au-delà de l’art d’écrire, les circonvolutions constantiennes mettent en lumière les rapports difficultueux entre la démocratie et le libéralisme. Celui-ci est consubstantiellement lié à la limitation du Pouvoir, cependant que celle-là vise à son accumulation et à son usage. Dans un système non démocratique, les individus recherchent essentiellement les moyens d’interdire au Pouvoir d’empiéter sur leurs droits; dans un système démocratique, en contre-point, ils s’emploient à investir le Pouvoir et à bénéficier de ses prébendes : « Au lieu de chercher à limiter le pouvoir, on cherche à s’en emparer »125. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle Constant sera si suspicieux envers le suffrage universel : « ces droits dans les mains du plus grand nombre, serviront infailliblement à envahir la propriété. Ils y marcheront par cette route irrégulière, au lieu de suivre la route naturelle, le travail (…) »126. Autrement dit, l’extension du droit de suffrage doit suivre celle de la propriété, sous peine de la détruire. Les tensions entre démocratie et libéralisme n’ont pas été résolues par la plupart des auteurs libéraux au XIXe siècle. Ces derniers s’en sont tenus à une conception poussiéreuse du suffrage qui les a assimilés aux défenseurs de l’ordre établi et aux conservateurs les plus éculés. L’exception notable d’un auteur aussi important que Frédéric Bastiat n’a pas empêché les libéraux de perdre la lutte idéologique dans le contexte d’une montée progressive, mais inexorable, du suffrage universel.
2 – Une conception inefficace de la garantie des droits
Si son constitutionnalisme apparaît incomplet, c’est qu’il souffre de l’absence d’une constitution authentiquement normative. Constant s’en remet, pour ultime garantie, à l’opinion publique (a), mais cette garantie est insuffisante en l’absence de contrôle de constitutionnalité des lois (b).
a) L’insuffisance de l’opinion publique
L’analyse du premier chapitre des Principes de politique s’avère une fois encore précieuse. Après avoir décrit la souveraineté comme inévitablement populaire et considéré qu’elle devait non moins inévitablement être limitée, Constant se demande comment encadrer effectivement la souveraineté. Voici sa réponse : « [la limitation de la souveraineté] sera garantie d’abord par la force qui garantit toutes les vérités reconnues, par l’opinion; ensuite elle le sera d’une manière plus précise, par la distribution et par la balance des pouvoirs »127. Il explique préalablement que les principes – auxquels il était si attaché – « se servent en quelque sorte de garantie à eux-mêmes » dès lors qu’ils sont démontrés128. En clair, lorsque l’opinion publique comprendra que la souveraineté est et doit être nécessairement limitée, nul n’osera contredire cet axiome. Il est notable que Constant envisage la garantie d’abord dans l’opinion publique puis, dans un second temps seulement, dans la « séparation des pouvoirs ». La pensée républicaine du Français est ici proche de l’opinion de Ferguson selon lequel les institutions politiques ne pouvaient être « le garant du maintien de la liberté » en ce sens que si elles pouvaient entretenir le courage, elles ne pouvaient le remplacer129. Cette thèse se comprend, mais encore suppose-t-elle que les institutions soient solidement établies et c’est là, pour ce qui concerne le constitutionnalisme constantien, que le bât blesse.
b) L’absence de contrôle de constitutionnalité des lois
Existe-t-il une constitution autre que « descriptive » chez Constant ? Pour qu’une constitution soit normative, il convient d’accorder à ses prescriptions la garantie d’une autorité, laquelle aura pour mission de contrôler son respect. Autrement dit, il ne suffit pas de coucher par écrit les institutions de l’État ou les droits de l’homme, encore faut-il prévoir un mécanisme juridique, et non pas politique, qui sanctionne la violation de ses dispositions.
Compter sur l’« opinion publique » pour « limiter la souveraineté » apparaît comme un vœu pieux. L’aveuglement de Constant apparaît surprenant : du fait peut-être de son opportunisme politique, il n’a jamais prôné une garantie efficace de la suprématie du Droit sur la volonté de la majorité, i. e. un contrôle de constitutionnalité des lois130. Très au fait des vertus du constitutionnalisme anglais131, il a dédaigné coupablement les leçons du constitutionnalisme américain. Ce faisant, sa pensée constitutionnelle témoigne d’une irrémédiable faiblesse. Constant consacre un chapitre de ses Fragments à « l’unité élective du chef du pouvoir exécutif en Amérique »132 au sein d’un livre consacré au rejet de la monarchie élective ou du « pouvoir exécutif » unique. Il tient sans originalité que les États-Unis ne sauraient constituer un paradigme pour les nations européennes en général et pour la France en particulier. Au soutien de l’élection populaire, en revanche, il cite avec faveur l’exemple américain et spécialement l’élection de Thomas Jefferson133. Il n’en rejette pas moins l’inclusion d’un serment dans la constitution, contrairement aux textes fondamentaux de certains États fédérés134. C’est surtout sa conception – brumeuse et péjorative – du fédéralisme135 qui amène Constant à refuser de faire des États-Unis une panacée. Certes, le gouvernement américain n’a pas établi un fédéralisme « vicieux » comme aux Pays-Bas ou en Suisse136. « Meilleur des gouvernements fédératifs », il n’est pas pour autant « exempt des inconvénients attachés aux organisations de ce genre »137. Or, ces inconvénients sont majeurs puisque le fédéralisme est en pratique un concentré de despotisme à l’intérieur et d’anarchisme à l’extérieur138.
Un aspect de la critique constantienne retient l’attention. S’il rejette le fédéralisme, tout à le moins tel qu’il existe concrètement, c’est que Constant y voit une violation du principe de subsidiarité139. Il n’use évidemment pas de ce terme, mais l’idée est bien présente. Il ramasse sa pensée de manière remarquable dans le Cours de politique constitutionnelle : « La direction des affaires de tous appartient à tous. Ce qui n’intéresse qu’une fraction doit être décidé par cette fraction : ce qui n’a de rapport qu’avec l’individu ne doit être soumis qu’à l’individu »140. Les États fédérés ont accaparé le pouvoir dans leurs frontières au détriment des individus et des collectivités territoriales, et ils ont empêché le gouvernement fédéral d’exercer ses compétences141.
Dans le constitutionnalisme constantien, il n’existe pas de mécanisme juridique par lequel le respect des droits de l’homme serait assuré. Si elle est coupable, cette absence n’en apparaît pas moins logique en raison de l’absence même d’énonciation des droits de l’homme dans la Constitution. Cette dernière absence surprend d’autant plus que Constant cite avec faveur dans les Fragments les garanties apportées par certaines constitutions des États fédérés – il ne se réfère pas, on ne sait pourquoi, à la Constitution de 1787… – aux « droits les plus sacrés des individus contre les empiétements des législateurs »142.
En revanche, Constant envisage de manière novatrice une constitution économique. Dans son Commentaire sur l’ouvrage de Filangieri, il prône une garantie contre l’accroissement des impôts, après les avoir définis comme un mal nécessaire conformément aux canons du libéralisme143. Préalablement, il avait fermement écrit : « Partout où la constitution de l’État ne met pas obstacle à la multiplication arbitraire des impôts; partout où le gouvernement n’est pas arrêté par des barrières insurmontables en ses demandes toujours croissantes, quand on ne les conteste jamais, ni la justice, ni la morale, ni la liberté individuelle ne peuvent être respectées »144. De même, dans sa discussion du projet de loi sur le budget de 1817, il pense qu’« il faut placer à côté, dans la constitution, des résistances efficaces et insurmontables » pour empêcher que le gouvernement n’abuse des emprunts145. Malheureusement, cette anticipation d’une constitution économique demeure non seulement vague, mais encore formelle, faute justement de garanties. Dans l’esprit de Constant, la « séparation des pouvoirs » avec la présence d’une chambre basse élue au suffrage restreint et d’une chambre haute héréditaire devait assurer la jouissance de la propriété. Mais le suffrage universel, qu’il craignait à bien des égards, a tué in ovo ces prétendues garanties.
Les fulgurances de Benjamin Constant voisinent avec ses limites. Le Français voit la plupart des difficultés, il tente de les résoudre, mais en adoptant des prémisses parfois discutables et en prônant des solutions qui manquent de substance ou de solidité.
Le profond sceptique qu’était Constant – une caractéristique qui le sépare de l’optimisme du « libéral pur » qu’était Frédéric Bastiat, et du pessimisme du libéral problématique, d’aucuns disent aristocratique, qu’était Tocqueville – eût répondu que la perfection n’était pas de ce monde. Notamment, comme l’avait écrit Madison, « les institutions humaines les plus bienfaisantes renferment une partie d’alliage (…) »146. Le constitutionnalisme constantien n’échappe pas à l’imperfection de l’homme sublunaire dont il était ô combien conscient ! Quand bien même d’ailleurs paraîtrait-elle impeccable textuellement, une constitution n’en serait pas moins nécessairement imparfaite. Dans tous les cas, aux fins d’être contrôlée et jugée, elle doit subir l’épreuve du feu : « Tant qu’on n’a pas essayé une constitution par la pratique, les formes sont une lettre morte : la pratique seule en démontre l’effet et en détermine le sens »147. Cette prudence est partagée par une bonne partie des libéraux – à commencer par Hayek – qui se sont intéressés au droit constitutionnel. Celui-ci doit viser à la sobriété et à la modestie : « (…) en fait d’institutions, il n’y a de bon et durable que la nécessaire »148. L’architectonique constitutionnelle s’avère délicate car, au même titre que l’État, elle doit trouver la juste mesure. En effet, met en garde Constant, « lorsqu’une chose nécessaire ne peut s’opérer par la constitution, elle s’opère malgré la constitution »149. Celle-ci doit être complète afin de juguler les dangers qui la guettent, tant de l’extérieur qu’en son sein. Pour remplir son office, elle doit être, si l’on peut dire, d’une modestie exhaustive… Enfin, une constitution – on le néglige trop souvent – ne se réduit pas à un ensemble de dispositions techniques : elle se fonde sur un certain nombre de « principes », par définition universels, tel le rejet de l’arbitraire, et elle se définit justement comme « la garantie de ces principes »150.
Constant lègue à la postérité trois idées fondamentales. En premier lieu, la question du pouvoir de l’État prime celle du pouvoir dans l’État. Autrement dit, la source du Pouvoir ne fournit à elle seule aucune assurance que la Liberté sera sauvegardée. En second lieu, les régimes politiques, à condition qu’ils ne versent pas dans l’arbitraire, n’ont eux-mêmes qu’une importance limitée151. Une importance limitée – ce qui ne veut pas dire dérisoire ! – dans la mesure où un régime politique n’est jamais qu’un moyen dont la fin est de garantir les droits de l’homme152. En dernier lieu – et ce point est lié aux deux précédents – la liberté politique joue un rôle limité, mais indispensable – ou bien indispensable, mais limité… – à l’image de l’État et de ses institutions. Constant prononce une phrase révélatrice à la fin de son allocution sur « la liberté des Anciens comparée à celle des Modernes » : « En respectant leurs droits individuels, en ménageant leur indépendance, en ne troublant point leurs occupations, elles [les institutions] doivent pourtant (sic) consacrer leur influence sur la chose publique (…) »153. Leçon mémorable pour le processus noble et exigeant de libéralisation des États : une constitution ne saurait créer la Liberté, mais elle l’accompagne et la garantit.
Jean-Philippe Feldman est agrégé des facultés de droit, professeur à l’Université Bretagne-Sud, avocat à la Cour de Paris.
[1] Benjamin Constant, Commentaire sur l’ouvrage de Filangieri, Paris, Les Belles Lettres, 2004, p. 284.
[2] Le présent article est issu d’une réflexion menée à l’occasion du séminaire du Liberty Fund sur le thème « La liberté et le constitutionnalisme dans les écrits de Benjamin Constant » les 23-25 août 2007 à Aix-en-Provence.
[3] Nous nous référons avant tout aux œuvres suivantes de Benjamin Constant : De la force du gouvernement actuel et la nécessité de s’y rallier de 1796, Des réactions politiques de 1797, Fragments d’un ouvrage abandonné sur la possibilité d’une constitution républicaine dans un grand pays, Principes de politique applicables à tous les gouvernements représentatifs et particulièrement la Constitution actuelle de la France dans sa version de 1815, l’Acte additionnel aux constitutions de l’Empire du 22 avril 1815, dit « benjamine », dont le brouillon fut rédigé par Constant, Commentaire sur l’ouvrage de Filangieri paru en 1822-1824, enfin Cours de politique constitutionnelle de 1819 dans sa 3e édition de 1837.
[4] Alexander Hamilton, John Jay & James Madison, Le Fédéraliste, trad. Gaston Jèze, Paris, LGDJ, 1957, reprint, Economica, n° XLI, p. 332.
[5] Pierre-Joseph Proudhon, Du principe fédératif et de la nécessité de reconstituer le parti de la Révolution, 1863, Paris, Romillat, 1999, p. 116.
[6] Benjamin Constant, discours, Chambre des députés, 2 mai 1828 in Archives parlementaires, 2e série, t. 53, p. 614 cité par Jean-Pierre Aguet, « A la veille de 1830 : Benjamin constant, journaliste et député dans le feu de l’action », in Lucien Jaume (dir.), Coppet, creuset de l’esprit libéral. Les idées politiques et constitutionnelles du groupe de Mme de Staël. Colloque de Coppet, 15 et 16 mai 1998, Aix-en-Provence & Paris, PUAM-Economica, 2000, p. 102.
[7] Benjamin Constant, Des réactions politiques, in id., De la force du gouvernement actuel et de la nécessité de s’y rallier. Des réactions politiques. Des effets de la Terreur, préf. Philippe Raynaud, Paris, Flammarion, 1988, p. 149. La même phrase se retrouve dans les Principes de politique applicables à tous les gouvernements représentatifs et particulièrement à la Constitution actuelle de la France, in id., Écrits politiques, Marcel Gauchet (éd.), Paris, Gallimard, 1997, p. 305.
[8] V aussi id., Cours de politique constitutionnelle, 3e éd. par J.-P. Pagès, Bruxelles, Société belge de librairie, 1837, IX, p. 55.
[9] Friedrich A. Hayek, La constitution de la liberté, trad. Raoul Audouin et Jacques Garello avec la collaboration de Guy Millière, Paris, Litec, 1994, p. 176 s.
[10] Daunou, Essai sur les garanties individuelles que réclame l’état actuel de la société, Jean-Paul Clément (éd.), Paris, Belin, 2000, p. 62.
[11] Benjamin Constant, Principes de politique…, in id., Écrits politiques, op. cit., p. 317-318.
[12] Id., Des réactions politiques, in id., De la force du gouvernement actuel…, op. cit., p. 141.
[13] Ibid., p. 148. La même pensée est développée dans les Principes, in id., Écrits politiques, op. cit., p. 306-307 & 483 s., et dans sa célèbre conférence « De la liberté des Anciens comparée à celle des Modernes », p. 593. Quant au Cours de politique constitutionnelle, il mentionne à moult reprises le thème du combat contre l’arbitraire, e. g. dans le chapitre XXII de ses « Développements » intitulé « De la liberté personnelle », p. 114 et s., et dans son chapitre XXV « De l’inviolabilité des propriétés », p. 138 s.
[14] Id., Principes de politique…, in id., Écrits politiques, op. cit., p. 487; Cours de politique constitutionnelle, op. cit., « Développements », XXII, p. 116.
[15] Id., De la force du gouvernement actuel de la France et de la nécessité de s’y rallier, in id., De la force du gouvernement actuel…, op. cit., p. 84.
[16] Id., Des réactions politiques, in ibid., p. 101. Les Fragments d’un ouvrage abandonné sur la possibilité d’une constitution républicaine dans un grand pays, Paris, Aubier, 1991, IV, 4, p. 198; VII, 7, p. 354 & VIII, 8, p. 401, développent en plusieurs occurrences l’idée d’un nécessaire respect des formes.
[17] Id., De la responsabilité des ministres, in id., Cours de politique constitutionnelle, op. cit., V, p. 179.
[18] Daunou, op. cit., p. 69.
[19] Yves Guyot, Les principes de 89 et le socialisme, in id., La tyrannie collectiviste, Paris, Les Belles Lettres, 2005, p. 172.
[20] Friedrich A. Hayek, Droit, législation et liberté. Une nouvelle formulation des principes libéraux de justice et d’économie politique. Vol. 3. L’ordre politique d’un peuple libre, trad. Raoul Audouin, Paris, PUF, 1983, p. 9.
[21] Id., La constitution de la liberté, op. cit., p. 180. La même idée est déjà exposée entre autres p. 177.
[22] Benjamin Constant, Principes de politique…, in id., Écrits politiques, op. cit., p. 317 & 320.
[23] Marcel Gauchet, « Préface », in ibid., p. 82.
[24] Tzvetan Todorov, Benjamin Constant. La passion démocratique, Paris, Hachette, 1997, p. 35.
[25] Philippe Nemo, Histoire des idées politiques aux temps modernes et contemporains, Paris, PUF, 2002, p. 625.
[26] Friedrich A. Hayek, Droit, législation et liberté. Une nouvelle formulation des principes libéraux de justice et d’économie politique. Vol. I. Règles et ordre, Paris, PUF, 2e éd., 1985, p. 1.
[27] Stephen Holmes, Benjamin Constant et la genèse du libéralisme moderne, trad. Olivier Champeau, Paris, PUF, 1994, p. 182.
[28] Ibid., p. 194.
[29] Benjamin Constant, Commentaire sur l’ouvrage de Filangieri, Paris, Les Belles Lettres, 2004, III, 6, p. 250.
[30] Michel Debré, allocution, Conseil d’État, 27 août 1958, in Comité national chargé de la publication des travaux préparatoires des institutions de la Ve République, Documents pour servir à l’histoire de l’élaboration de la Constitution du 4 octobre 1958. Vol. III. Du Conseil d’État au referendum, 20 août-28 septembre 1958, Paris, La Documentation française, 1991, p. 269.
[31] Benjamin Constant, Cours de politique constitutionnelle, op. cit., IX, p. 56, n. 1.
[32] Ibid., p. 56.
[33] Adhémar Esmein, Éléments de droit constitutionnel français et comparé, 6e éd. par Joseph Barthélemy, Paris, Sirey, 1914, p. 554 & 559.
[34] Association Henri Capitant, Vocabulaire juridique, Gérard Cornu (dir.), Paris, PUF, 2000, p. 406.
[35] Stéphane Rials, La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, Paris, Hachette, 1988, p. 375-376.
[36] Yves Guyot, op. cit., p. 275.
[37] Alexander Hamilton, John Jay & James Madison, op. cit., n° LXXXIV, p. 718.
[38] Maurice Hauriou, Précis de droit constitutionnel, Paris, Sirey, 2e éd., 1929, p. 611-612 & 702.
[39] Benjamin Constant, « De la liberté des Anciens comparée à celle des Modernes », discours prononcé à l’Athénée Royal de Paris, 1819, in id., Écrits politiques, op. cit., p. 603 & 612.
[40] Ibid., p. 613.
[41] Ibid., p. 618.
[42] Philippe Raynaud, « Un romantique libéral. Benjamin Constant », Esprit, mars 1983, p. 59.
[43] Benjamin Constant, Commentaire…, op. cit., I, 7, p. 54 & IV, 6,316.
[44] Id., Mélanges de littérature et de politique, in id., Écrits politiques, op. cit., p. 623.
[45] Stephen Holmes, op. cit., p. 92.
[46] Benjamin Constant, Mélanges…, in id., Écrits politiques, op. cit., p. 682.
[47] Ibid., p. 684.
[48] Edouard Laboulaye, L’État et ses limites, Paris, Charpentier, 1863, p. 95-96.
[49] V. Stephen Holmes, op. cit., p. 41.
[50] Benjamin Constant, Principes de politique…, in id., Écrits politiques, op. cit., p. 310 s. Le chapitre premier des « Développements » du Cours de politique constitutionnelle, op. cit., p. 64 s., s’intitule : « De la souveraineté du peuple et de ses limites ».
[51] Id., Principes de politique…, in id., Écrits politiques, op. cit., p. 310.
[52] Une nouvelle fois, le Cours de politique constitutionnelle, op. cit., IV, p. 19 & « Développements », I, p. 67, contient des idées identiques.
[53] Marcel Gauchet, préface, in ibid., p. 29.
[54] Benjamin Constant, Principes de politique…, in id., Écrits politiques, op. cit., p. 311,313, 316,317 & 319; Cours de politique constitutionnelle, op. cit., « Développements », I, p. 69.
[55] Id., Principes de politique…, in id., op. cit., p. 312-313. La même phrase se retrouve dans son Commentaire sur l’ouvrage de Filangieri, op. cit., p. 59 et dans son Cours de politique constitutionnelle, op. cit., « Développements », I, p. 66.
[56] Id., Principes, in id., Écrits politiques, op. cit., p. 317 & 441; Cours de politique constitutionnelle, op. cit., « Développements », XXI, p. 109-110.
[57] Id., Principes de politique…, in id., Écrits politiques, op. cit., p. 441. V, p. 317-318. Le Cours de politique constitutionnelle, op. cit., VIII, p. 49, comporte, lui, une liste en six points : liberté personnelle, jugement par jurés, liberté religieuse, liberté d’industrie, inviolabilité de la propriété et liberté de la presse.
[58] Id., Principes de politique…, in id., Écrits politiques, op. cit., p. 443.
[59] Id., Cours de politique constitutionnelle, op. cit., XXIV, p. 129 s.
[60] Ibid., p. 129.
[61] Id., Principes de politique…, in id., Écrits politiques, op. cit., p. 444. Le chapitre XXV des « Développements » du cours de politique constitutionnelle, op. cit., p. 138, qui s’intitule « De l’inviolabilité des propriétés », calque les Principes de politique.
[62] Id, Principes de politique…, in id., Écrits politiques, op. cit., p. 444.
[63] Ibid., p. 317-318,440 & 441.
[34] Id., « De la liberté des Anciens comparée à celle des Modernes », in ibid., p. 593.
[65] Par exemple, dans « Discussion de la Chambre des députés sur le projet de loi relatif à la liberté de la presse », Benjamin Constant, Session de 1817 à 1818, in id., Cours de politique constitutionnelle, op. cit., p. 337, se réfère au « droit sacré de propriété ».
[66] Id., Principes de politique…, in ibid., p. 442. Si Benjamin Constant énonce clairement cette idée dans les Principes de politique, il s’exprime antérieurement non sans un germe d’ambiguïté : « Lors même qu’on supposerait ce que je suis loin d’accorder, que la propriété n’est qu’une convention de la même espèce que l’hérédité (…) » (Fragments…, op. cit., I, 3, p. 117). C’est Necker qui, comme bien souvent dans les Fragments, se trouve ici visé. En revanche, le chapitre XIX des « Développements » du Cours de politique constitutionnelle, op. cit., p. 104, cite expressis verbis les Principes de politique, introduits par la phrase suivante : « Voici donc ce que je disais sur la propriété, considérée comme la première et la plus nécessaire des conventions de l’état social ».
[67] Id., Mélanges de littérature et de politique, in ibid., p. 625.
[68] Id., Commentaire…, op. cit., III, 11, p. 267.
[69] Id., Mélanges de littérature et de politique, in id., Écrits politiques, op. cit., p. 625-626.
[70] Constant écrit avec détermination dans les Fragments, op. cit., VIII, 11, addition, p. 425, et dans son Cours de politique constitutionnelle, op. cit., IX, p. 57, n., que « le droit imprescriptible d’un propriétaire est de tirer de sa propriété le meilleur parti possible ».
[71] V. Marcel Prélot & Georges Lescuyer, Histoire des idées politiques, Paris, Dalloz, 9e éd., 1986, p. 534.
[72] V. Jean-Philippe Feldman, « Frédéric Bastiat et la lutte contre le socialisme », Revue d’histoire des facultés de droit, n° 28,2007 (à paraître).
[73] Benjamin Constant, « De la liberté… », in id., Principes de politique…, op. cit., p. 591-592.
[74] Ibid., p. 615.
[75] Stephen Holmes, op. cit., p. 106.
[76] Benjamin Constant, Session des chambres de 1818 à 1819, VI, « Discussion sur le projet relatif aux pétitions », in id., Cours de politique constitutionnelle, op. cit., p. 369, consacre un paragraphe fort intéressant à la question de l’« intérêt général ». L’expression n’a d’autre sens que « la réunion, la conciliation de tous les intérêts privés qui existent simultanément ». Constant confie qu’il s’est toujours défié de l’expression et il ajoute cauteleusement : « lorsqu’on invoque cet intérêt général, je suis toujours prêt à parier qu’on veut froisser quelque intérêt privé »… Il en conclut que les intérêts privés « sont les seuls véritables, puisque la société n’est que l’agrégation des individus privés qui en sont membres » (p. 369-370).
[77] Stephen Holmes, op. cit., p. 196.
[78] Pierre-Xavier Boyer, « Constitutionnalisme de la raison et constitutionnalisme des passions », Revue française d’histoire des idées politiques, n° 18,2003, p. 297.
[79] Benjamin Constant, Fragments…, op. cit., I, 5, p. 132. Constant, Session de 1817 à 1818, IV, « Discours de la chambre des députés sur le projet de loi relatif à la liberté de la presse », in id., Cours de politique constitutionnelle, op. cit., p. 340, caractérise la liberté de la presse comme la « sauvegarde de toutes nos libertés ».
[80] Id., Cours de politique constitutionnelle, op. cit., VIII, p. 153.
[81] Id., De la liberté des brochures, des pamphlets et des journaux, in ibid., p. 168.
[82] Jean-Philippe Feldman, « Principe ami-ennemi et catallaxie. Carl Schmitt, la guerre et le libéralisme », Droits, n° 46,2007 (à paraître).
[83] Benjamin Constant, Principes de politique…, in id., Écrits politiques, op. cit., p. 324.
[84] Ibid., p. 329.
[85] Voltaire, « Huitième lettre sur le Parlement », in id., Lettres philosophiques, Amster dam, E. Lucas, 1734, p. 67.
[86] Ibid., p. 67-68. Comp. Benjamin Constant, Cours de politique constitutionnelle, op. cit., I, p. 2 : « L’histoire romaine est, en général, un grand exemple de la nécessité d’un pouvoir neutre, intermédiaire entre les pouvoirs actifs ».
[87] Benjamin Constant, Fragments…, op. cit., VIII, 5, p. 379.
[88] Ibid., addition, p. 381.
[89] Id., Principes de politique…, in id., Écrits politiques, op. cit., p. 327.
[90] Ibid., p. 335.
[91] Id., Fragments…, op. cit., VIII, 3, p. 373.
[92] Ibid., 8, p. 387.
[93] Ibid., 17, p. 453.
[94] Ibid., p. 390. De même dans le Cours de politique constitutionnelle, op. cit., I, p. 3.
[95] Benjamin Constant, Fragments…, op. cit., IV, 6, p. 212, écrit ainsi d’une plume assassine : « Une monarchie de dix siècles peut se diviser ainsi : un siècle d’usurpation, de mécontentement et de lutte, par conséquent de terreur, de vexations et de tyrannies, avant que l’usurpation soit légitimée; huit siècles d’arbitraire, un siècle au plus de liberté sans garantie, pendant lequel l’opinion se fortifie contre le gouvernement, puis, un bouleversement par cette opinion. Or, j’ai quelque peine, je l’avoue, à admettre, a priori, pour l’espèce humaine, une institution qui nous offre pour perspective, lorsqu’elle s’établit, le despotisme, lorsqu’elle s’adoucit, les révolutions ».
[96] Ibid., VIII, 8, n. d., p. 403.
[97] Ibid., 14, p. 437-439.
[98] Ibid., p. 437-438. V. 10, p. 415-417.
[99] Id., Cours de politique constitutionnelle, op. cit., I, p. 1. Dans Des élections de 1817, in ibid., p. 418, Constant écrit que « les indépendants sont ceux qui aiment la monarchie constitutionnelle, parce qu’elle est constitutionnelle (…) ».
[100] Stephen Holmes, op. cit., p. 203.
[101] Alain Laquièze, « Le modèle anglais et la responsabilité ministérielle selon le groupe de Coppet », in Lucien Jaume (dir.), op. cit., p. 173.
[102] Benjamin Constant, Session des chambres de 1818 à 1819, IX, « projet sur la responsabilité des ministres », in id., Cours de politique constitutionnelle, op. cit., p. 378.
[103] Ibid.
[104] Id., Fragments…, op. cit., VIII, 15, p. 441-446.
[105] Ibid., 17, p. 451.
[106] Ibid., 15,441 & 17, p. 451.
[107] V. Stéphane Rials, « Une grande étape du constitutionnalisme européen. La question constitutionnelle en 1814-1815 : dispersion des légitimités et convergence des techniques », in id., Révolution et Contre-Révolution au XIXe siècle, Paris, DUC /Albatros, 1987, p. 144.
[108] Alain Laquièze, « Le modèle anglais… », in Lucien Jaume (dir.), op. cit., p. 175.
[109] Alain Laquièze, Les origines du régime parlementaire en France (1814-1848), Paris, PUF, 2002, p. 157-158.
[110] Benjamin Constant, Principes de politique…, in id., Écrits politiques, op. cit., p. 339.
[111] Id., Cours de politique constitutionnelle, op. cit., II, p. 6.
[112] Alain Laquièze, « Le modèle anglais… », in Lucien Jaume (dir.), op. cit., p. 172 & 175-176.
[113] Benjamin Constant, Fragments…, op. cit., VIII, p. 321 s.
[114] Ibid., 2, p. 366 : « Rien n’est plus affreux que le despotisme d’un seul ou de quelques hommes, régnant avec l’autorité et au nom de tous ».
[115] Ibid., VI, 1, p. 255.
[116] Ibid., p. 258.
[117] Benjamin Constant, Principes de politique…, in id., Écrits politiques, op. cit., p. 367; Cours de politique constitutionnelle, op. cit., VII, p. 47.
[118] Sur les circonvolutions constantiennes relatives au droit de suffrage, v. Stephen Holmes, op. cit., p. 209 s.
[119] Benjamin Constant, Fragments…, op. cit., V, 4, p. 251-252.
[120] Ibid., VI, 10, p. 317-320.
[121] Ibid., VI, 8, p. 301.
[122] Ibid., n. *, p. 297. La même idée se retrouve dans le Cours de politique constitutionnelle, op. cit., IV, p. 23, n. 2.
[123] Id., Cours de politique constitutionnelle, op. cit., VII, p. 46 & n. 1. Benjamin Constant, Session des chambres de 1818 à 1819, XI, « Proposition de M. Barthélémi, relativement à la loi des élections », in ibid., p. 387, fait son mea culpa.
[124] Des élections de 1818, X, « Du choix de nos députés », in ibid., p. 453.
[125] Pascal Salin, Libéralisme, Paris, Odile Jacob, 2000, p. 108.
[126] Benjamin Constant, Principes de politique…, in id., Écrits politiques, op. cit., p. 368-369; Cours de politique constitutionnelle, op. cit., VII, p. 47.
[127] Id., Principes de politique…, in id., Écrits politiques, op. cit., p. 321.
[128] Ibid., p. 320.
[129] Adam Ferguson, Essai sur l’histoire de la société civile, trad. M. Bergier révisée par Claude Gautier, Paris, PUF, 1992, p. 362.
[130] Stéphane Rials, « Une grande étape… », in id., Révolution…, op. cit., p. 141, n. 60.
[131] Dans De la liberté des brochures, des pamphlets et des journaux, Constant confie en incidente qu’il admire et respecte les institutions anglaises, et qu’il en recommande l’étude approfondie afin, non pas de les imiter servilement, mais de s’en inspirer (in id., Cours de politique constitutionnelle, op. cit., p. 169, n).
[132] Benjamin Constant, Fragments…, op. cit., III, 7, p. 181-183.
[133] Ibid., VI, 7, p. 292; Cours de politique constitutionnelle, op. cit., IV, p. 17
[134] Id., Fragments…, op. cit., VIII, 2, p. 371.
[135] V. Ibid., VI, 2, p. 263 & VIII, 9, p. 407; Cours de politique constitutionnelle, op. cit., IV, p. 34 & X, p. 61.
[136] Id., Fragments…, op. cit., VIII, 9, p. 407.
[137] Ibid.
[138] Ibid., p. 409.
[139] V. Jean-Philippe Feldman, « La subsidiarité et le libéralisme » in L’homme libre. Mélanges en l’honneur de Pascal Salin, Paris, Les Belles Lettres, 2006, p. 167-182.
[140] Benjamin Constant, Cours de politique constitutionnelle, op. cit., X, p. 59.
[141] Id., Fragments…, op. cit., VIII, 9, p. 408-409; Cours de politique constitutionnelle, op. cit., X, p. 61.
[142] Ibid., VI, 7, p. 295 & n. ***. Il en est de même dans le Cours de politique constitutionnelle, op. cit., IV, p. 19.
[143] Id., Commentaire…, op. cit., p. 224.
[144] Ibid., p. 223.
[145] Id., Histoire de la session de la Chambre des députés depuis 1816 jusqu’en 1817, VII, « Projet de loi sur le budget », in id., Cours de politique constitutionnelle, op. cit., p. 300.
[146] Alexander Hamilton, John Jay & James Madison, op. cit., n° XLI, p. 332.
[147] Benjamin Constant, Principes de politique…, in id., Écrits politiques, op. cit., p. 385. Les Fragments, op. cit., VII, 11, p. 419, expriment la même idée : « Une bonne constitution est le plus impérieux des besoins publics. Mais pour savoir si une constitution est bonne, il faut l’essayer : l’expérience seule en découvre les vices ». V. aussi Cours de politique constitutionnelle, op. cit., IX, p. 54-55. C’est ce qui explique l’importance du facteur temporel : une constitution ne vaut que par sa pratique, car seul le fonctionnement effectif des institutions permet de vérifier qu’elles respectent les principes qui, nécessairement, la fondent. V, p. 58.
[148] Id., Commentaire…, op. cit., IV, 6, p. 317.
[149] Id., Principes de politique…, in id., Écrits politiques, op. cit. p. 347; Cours de politique constitutionnelle, op. cit., IV, p. 17.
[150] Id., Cours de politique constitutionnelle, op. cit., IX, p. 55.
[151] V. Emeric Travers, « Constant et Chateaubriand, deux défenses de la monarchie », Revue française d’histoire des idées politiques, n° 19,2004, p. 104.
[152] Dans l’avant-propos de 1819, à la réédition de son ouvrage Des réactions politiques, Benjamin Constant écrit que « les organisations politiques ne sont que des moyens » (in id., Cours de politique constitutionnelle, op. cit., p. 469).
[153] Id., « De la liberté des Anciens comparée à celle des Modernes », in id., Écrits politiques, op. cit., p. 619.
Cet article a été publié dans la Revue française de droit constitutionnel 2008/4 – n° 76 – 2008